Sixième Soval

Mon nom est Elrioril Incarmin, et je suis l'un des deux survivants du groupe qui mit en déroute le dernier Soval. J'étais le seul elfe du groupe. Laissez-moi vous raconter cette histoire, qui devint une légende.

Je ne me distinguais pas vraiment des autres mages de mon peuple, et je ne sais toujours pas pourquoi on me choisit. Un groupe d'humains au nombre de cinq vint à ma rencontre, au sein même de la capitale elfique, Areï Citae, où je résidais. Les membres du groupe étaient les suivants: Kalanir, drapé d'une longue toge rouge était un puissant magicien spécialisé dans le contrôle du feu; Rikarm, portant une robe dorée était un invocateur; Garem, vêtu tout de noir me sembla être un genre de nécromancien; Nadrak, arborant la même couleur que Garem semblait avoir des pouvoirs assez généraux; Minas, dans une tunique bleuté contrôlait les éléments à sa guise. Ils se présentèrent à moi en disant qu'ils avaient besoin de la magie elfique, en matière de boucliers et de guérisons. Je me fis tout d'abord réticent. Les rapports entre humains et elfes n'étaient jamais autres qu'hostiles, et j'eus l'envie de refuser, par principe. Toutefois, je dus me rappeler que le destin de toutes les races était en jeu, dans cette guerre. Je ne pouvais mettre la vie de tous en danger par conviction.

Je me joignis donc à ce groupe d'êtres étranges qui ne m'inspiraient guère confiance. Enfilant ma robe de bure beige et n'apportant que des sacoches contenant les herbes nécessaires à certains sorts de guérisons, je pris le chemin du sud avec eux. À mesure que nous avancions, le climat commençait à se réchauffer, et je commençai bien vite à ressentir le poids de ma robe doublée de laine. Au moins ne portais-je pas de couleurs foncées comme Nadrak ou Garem. Fait surprenant, il se mit à neiger. Alors que je brûlais mes sandales contre le sable, il neigeait! Biensur, la neige fondait en touchant le sol, mais le phénomène n'en était pas moins anormal.

Nadrak ordonna l'arrêt du groupe. Depuis le début du voyage, j'avais remarqué qu'il semblait porté à se faire chef du groupe. Ce vieil antipathique élancé ne semblait pas supporter autre autorité que la sienne. Nous nous arrêtâmes donc. Le sol vibrait sous nos pieds, et chacun de nous tentait de contenir son anxiété en affichant un masque d'indifférence. Le sol tremblait de plus en plus fort tout autour de nous et certains des sorciers commencèrent à s'activer. Rikarm traça quelques formes avec ses mains dans les airs et trois loups lumineux immatériels apparurent à ses côtés. Garem, quant à lui, commença à tracer des pentacles dans le sable avec un long bâton dont il se servait comme d'une canne. Peu à peu, diverses ombres l'entourèrent. L'aura maléfique qui se dégagea alors de lui me terrifia. Et soudain, ce fut le chaos. Le sol se souleva devant nous, dans une explosion.

-Bouclier, elfe! entendis-je Nadrak crier par dessus le bruit.

Mon réflexe nous sauva, car aussitôt le halo bleuté érigé autour de nous, des météores de pierre brûlante s'écrasèrent sur sa paroi magique. Lorsque la poussière retomba, je le vis, devant nous. Un monstre reptilien à carapace, large comme un château, mélange d'un dragon et d'une tortue. Il nous regarda avec rage et, dans ses petits yeux perfides, je perçus une lueur d'intelligence malsaine. Après une brève évaluation de ses adversaires, le monstre frappa de son poing droit, sur la paroi de mon bouclier. Je sentis l'ampleur du choc dans chacun des recoins de mon corps et fis un pas en arrière sous l'impact. Des éclairs blancs zébrèrent la surface du bouclier mais il tint bon. Personne ne fit de commentaires, tous se demandaient comment attaquer en premier ce monstre.

Finalement, Kalanir s'avança le premier. Confiant et un peu trop fier de sa personne, il disait ne pas avoir peur. Il sortit de l'enceinte de bouclier et fit démonstration de son pouvoir. Je me dis qu'il avait raison de se vanter. Le tourbillon de flammes qui se dégagea de ses mains était hallucinant. Heureusement que nous étions sous le bouclier, car je vis l'air devenir flou autour des combattants, sous l'effet de la température. Le Soval, devant l'attaque, protégea son visage de sa patte supérieur gauche. Les flammes vinrent lécher ses écailles et il ne sembla pas trop souffrir. Une fois l'attaque finie, je pus voir la terreur sur le visage de Kalanir, voyant son attaque inefficace. Le Soval l'attrapa de son énorme main griffue et le projeta sur sa droite, loin, très loin. J'avais vu tous les os du sorcier se disloquer sous la force du monstre. Le combat ne faisait que commencer et déjà nous n'étions plus que cinq. Juste après ça, je réalisai pourquoi le Soval avait aussi bien résisté à l'attaque. Le feu devait être son élément, car il cracha un époustouflant jet de flammes contre mon bouclier, qui résista encore une fois. Le monstre poussa un hurlement de rage devant son incapacité à nous attaquer.

Minas fit lever une vent violent autour du bouclier, créant une grande tempête de sable, tandis que les loups lumineux et les ombres démoniaques de nos "invocateurs" partaient à toute vitesse vers le monstre. Agiles et rapides, les loups sautèrent sur le dos du monstre et se dirigèrent vers son crâne, tentant de lui attaquer les yeux, principalement. Je vis l'un d’eux tomber dans la gueule du monstre lorsque celui-ci secoua la tête, mais les autres tinrent bon. Les ombres démoniaques de Garem s'enroulèrent en spirale autour des pattes du Soval. Partout ou elles passaient, de petites plaies suintantes s'ouvraient à travers les écailles du monstres. Ruant dans tous les sens, incapable de se débarrasser des parasites, le Soval se mit à tambouriner comme un fou sur mon bouclier. Chaque coup se faisait sentir dans les muscles de mes bras, que je tenais maintenant dans les airs pour mieux canaliser ma puissance. Toutefois, le monstre était trop fort. De petits éclairs parsemaient toute la surface du bouclier, se condensant autour des points d'impact. Le bouclier éclata, produisant un remous dans le sable, et le point gauche du Soval s'abattit sur Rikarm et Minas. Les loups de Rikarm disparurent tous, confirmant sa mort. Au moins avaient-ils eu le temps de crever l'un des yeux du monstre. La tempête de sable faiblit et j'accourus aussi vite que je le pus à Minas. Le pauvre avait les jambes cassées. Je m'accroupit à ses côtés et entreprit de le soigner. Heureusement, le Soval ne put frapper à nouveau car Nadrak érigea un nouveau bouclier. Le sien, contrairement au mien rayonnant de pureté, était rouge foncé et la puissance qui y était condensée m'effraya de par son ampleur. Lorsque Minas fut remis en état, nous nous consultâmes tous. Nadrak parla le premier.

-Minas! s'écria-t-il, si cette créature contrôle si bien le feu, elle devrait avoir du fil à retordre avec l'eau, ou la glace. Je veux que tu tentes vers ce côté. Garem, tu dois l'affaiblir avec beaucoup plus de ces démons, retourne t'en occuper. Elfe, te sens tu la force d'ériger un nouveau bouclier?!

Je voyais où il voulait en venir. J’étais trempé de sueur, après m'être fait détruire un bouclier, mais j'acquiesçai. Ce n'était pas le moment de céder à la fatigue. Toutefois, j'étais assez perplexe quant au fait qu'il appelle tous les autres par leur nom. Encore un raciste...

-Oui je... Je devrais…

-Tais-toi, elfe, m'interpella-t-il en vérifiant que les deux autres étaient retournés à leur poste. Pour utiliser certains de mes pouvoirs, j'ai besoin de certains… préparatifs. Quand je te ferai signe, tu appelleras Garem pour attirer son attention. Ne pose pas de questions. Maintenant, va faire ce bouclier.

Dépassé par les événements, je retournai docilement à mon poste et érigeai un nouveau bouclier, rassemblant mes forces, tremblant sous l'effort. Pendant ce temps, Minas avait levé une forte tempête de neige mêlée à de la pluie, créant une boue translucide qui bloquait la vue tout autour. Cela semblait incommoder le monstre, car il hurlait sa rage de plus en plus fort, et les plaies causées par les démons toujours plus nombreux de Garem fumaient étrangement. À un moment, Nadrak me fit signe, et j’appelai Garem par son prénom. Celui-ci se retourna vivement, furieux d'être dérangé, et j'assistai avec horreur à la mise en oeuvre du plan de Nadrak. Ayant surgit derrière Garem, il lui planta un couteau dans la nuque, froidement. Lâchant un hoquet de surprise, je relâchai mon attention un moment et, d'un coup plus puissant, le Soval défonça mon bouclier et écrasa Minas. Il ne restait plus que moi et Nadrak, devant ce monstre de la taille du village, cracheur de feu, capable de détruire des villes entières, d'abattre des forteresses. Malgré tout, Nadrak ne semblait pas effrayé, pas inquiet du tout. Ayant érigé un petit bouclier rougeâtre autour de lui et du corps de Garem, me laissant exposé, il procédait à une magie étrange, et le cadavre était enveloppé d'une lueur verte. M'enveloppant moi même d'un nouveau bouclier, je regardai Nadrak drainer toute l'énergie vitale du cadavre.

Quand il eut fini, Nadrak ne me jeta même pas un regard. Il éteignit son bouclier aux couleurs peu avenantes, les mains recouvertes d'une lueur rouge sang. Le Soval, devant cette opportunité, pris son souffle et cracha un énorme jet de flamme. Au même moment, Nadrak relâcha toute l'énergie accumulée dans un énorme rayon jaune qui rencontra le jet de flamme dans une explosion impressionnante. Mon propre bouclier, un peu en retrait, tremblota. Le déchaînement des forces était incroyable, et j'assistais à cela, en spectateur impuissant, dépassé par les puissances impliquées. D'un côté, ce sorcier en pleine possession de ses pouvoirs, augmentés par l'énergie vitale de Garem. De l'autre, ce monstre infernal, parsemé de plaies fumantes, un oeil crevé. Malgré l'état de la créature, elle résistait. Le point de rencontre des rayons oscillait entre les deux combattants, tous deux compulsant toute la magie qu’ils pouvaient. Nadrak avait les bras levés devant lui, le Soval la bouche ouverte, crachant cet éternel jet brûlant. Et puis soudain, le Soval eut une réaction. Ses pattes s'enfoncèrent solidement dans le sol et il amplifia l'ampleur de son jet. Un instant, je remarquai la peur dans les yeux de Nadrak, comme il constatait que son ennemi était plus fort, qu'il le battait. Dans un ultime soubresaut, le rayon de Nadrak s'éteignit, à son grand désespoir. Déséquilibré, le sorcier fut projeté au sol, évitant en grande partie le jet de flamme. Le Soval, à moitié mort, commença à s'enfouir à nouveau sous la terre dans un gros remous. Peut-être avait-il sentit que ses cinq frères avaient tous été terrassés. Du coin de l'oeil, je remarquai que Nadrak remuait encore un peu, bien qu'il ressemblait maintenant à une masse informe de chair fumante. Je savais que je regretterais mon geste, mais il ne serait jamais écrit qu'un elfe aurait abandonné son allié. Je me précipitai au chevet du mourrant et entrepris de le soigner.

-Que fais-tu imbécile..?! C'est le moment de... de l'achever. Ah ces elfes...