Retour de Decatheon - Punition

[Suite de "Decatheon, une visite officielle"]

Arkera. Déjà bourdonnante d'activité, malgré le fait que le soleil venait de se lever, elle représentait bien la race humaine. Les rues étroites et serrées en parallèle, perpendiculaires aux rues principales étaient bondées de marchands divers qui criaient par dessus le brouhahas, tentant de vanter les mérites de leurs produits. Il y avait de tout dans les étals miteux. Fruits, viande, vêtements, tapis, bijoux et même quelques épées et autres armes. Parfois, on croisait un garde dans son armure rutilante, aux couleurs du noir et violet Arkerans. Quelques femmes de joie courageuses, mirobolantes de maquillages, tentaient de se dégoter un client matinal, mais elles rencontraient peu de succès. Noctealys arriva par la porte Ouest. Si certains se demandaient parfois comment ce tueur qui enchainait les contrats pouvait se retrouver aussi rapidement sans le sous, ils ne connaissaient pas l'elfe. Comme d'habitude, il arriva en ville sur un étalon à moitié mort, c'est à ça qu'on le reconnaissait. L'animal, auparavant fougueux et pétillant d'énergie, avait maintenant la gueule barbouillée d'écume, les yeux hagards, grand ouverts, et peinait à avancer. L'elfe ne laissait jamais sa monture s'arrêter durant un voyage. Sur son dos, l'assassin s'accrochait à la crinière d'un noir profond, afin de ne pas tomber, car la bête boitait de façon de plus en plus prononcée. Le cheval lui avait couté beaucoup de pièces, car ils étaient très rares dans les paysages de l'Ouest. Lorsqu'il fut tout près des portes, Noctealys descendit et jaugea l'animal du regard. La plupart de ses chevaux mourraient en un voyage. Normalement, il les achevait en arrivant, car ils n'étaient destinés qu'à une mort pénible dans un écurie miteuse. Cependant, celui-là semblait garder quelques forces. Impressionné, jugeant que le cheval pouvait encore vivre, le tueur détacha selle et bride, et laissa le cheval sur le chemin, sans cérémonies. Ne se faisant pas prier, la monture partit d'un pas fatigué vers une marre pas très loin alors que l'elfe passait les portes sous les regards curieux des gardes.

Alors qu'il passait dans les rues toujours plus encombrées, Noctealys entendait les gens qui murmuraient sur son passage. On le reconnaissait, à Arkera. C'était presque son domicile. Même ceux qui ne le connaissaient pas le suivaient du regard, car ses habits étaient maculés de sang, du sang humain comme elfique. Le tueur aux roses se dirigeait vers le kiosque d'un homme qu'il connaissait depuis longtemps. Il arriva devant le modeste étal et déposa une somme apparemment imprécise de pièces sur le comptoir. Sans hésitation, l'homme lui tendit une demi-douzaine de couteaux, de lancer comme de poing. Noctealys le remercia d'un signe de tête, et lui remit un petite bourse remplie de pièces préalablement comptées. L'homme acquiesça. Cela signifiait que l'elfe repasserait dans les prochains jours pour de nouvelles armes. L'assassin dissimula les couteaux un peu partout sur lui, puis reprit son chemin.

Quelques instants plus tard, Noctealys arrivait devant l'homme qui lui avait remis la mission concernant Kalahorn. Il entra sans s'annoncer, et, comme d'habitude, l'employeur leva la tête de ses papiers.

-Ah te voilà! Tu as fait vite! Alors? À voir tout ce sang sur toi, j'en juge que ce fut un carnage. Aller, prend ton argent et file, tu l'as bien mérité.

Il déposa une lourde bourse sur son comptoir que l'elfe s'empressa de saisir. Il resta un instant debout, puis posa sa question, de sa voix rauque et inexpérimentée.

-Qui a demandé la mort de Kalahorn?

L'employeur écarquilla un instant les yeux, surpris. Il avait toujours cru l'elfe muet. Reprenant contenance, il répondit avec hésitation.

-Pourquoi me demander ça? Bon, comme Kalahorn est mort, je peux bien te le dire. C'est moi en fait. Quelques autres hommes avaient intérêt dans ce meurtre, mais je l'ai fait dans mon but personnel. Vois-tu, cet homme était dangereux. Son pouvoir au sein du Conclave est sans cesse grandissant et..

Noctealys n'écoutait plus. Le Conclave. Il ignorait ce que c'était. Peu importe. Il savait désormais qui était sa nouvelle cible. Qui l'avait trompé, lui avait menti. Il écouta un instant, et alors que l'homme parlait toujours, l'assassin tourna le dos et partit. Un instant après, l'employeur remarqua un détail. Un éclat rouge sur son bureau. Une belle rose rouge, dont l'aura de vie et de beauté transpirait par les pétales. Il fronça les sourcils. Pourquoi l'assassin avait-il...? Il voulut ramasser la fleur, mais se piqua le doigt sur un épine. Reculant sous la surprise, il évita de quelques cheveux un couteau qui vint se planter avec violence dans le mur là où sa tête se trouvait quelques secondes auparavant. L'arme était enfoncée jusqu'au manche, au milieu d'une latte de bois. Abasourdi, l'homme se cacha derrière son bureau. Quelques secondes plus tard, une pierre traversa la fenêtre ouverte par laquelle était arrivé le couteau. Un papier enroulé et ficelé autour de la roche dévoila un message griffonné en langage Arkeran. «Ne tourne jamais le dos à quiconque. Ne dors plus. Ne sors plus. Car je suis derrière toi. Toujours.» Terrifié, l'employeur se retourna, au cas où. Personne. Que de l'ombre inquiétante. Il alluma une nouvelle lanterne, ajoutant sa lumière à celle de la lanterne déjà allumée.

Cette nuit là. L'homme dormit. Un peu. Il se réveilla au milieu de la nuit. Nerveux. En ouvrant les yeux, il constata un fait étrange: Le plafond remuait très légèrement. Des pans de plafond pendaient au dessus de lui. Le plafond clignait des yeux. Sous le choc, il roula d'un coup alors qu'une forme obscure tombait du fameux plafond. Juste à temps, car il entendit l'affreux déchirement que produisit une dague dans son oreiller. Lorsqu'il releva les yeux, plus rien n'était visible. Il se releva, se passa une main sur le visage, stressé. L'air siffla près de lui et sa main fut collée au mur de la pièce avec brutalité. Il se demanda un instant ce qui se passait, mais il hurlait déjà. Le couteau clouant sa main droite au mur produisait une affreuse sensation de brulure. Ses cris se perdirent dans la nuit.

Ce fut ainsi le lendemain, et le jour suivant aussi. L'homme ne dormait plus désormais. Il ne sortais plus désormais. Il restait terré dans sa maison, mais le tueur le terrifiait quand même. Régulièrement, des couteaux venaient défoncer ses fenêtres pour poignarder son ombre, ou dessiner sa silhouette contre un mur. Les rares fois où il sortait. Alors qu'il bousculait dans des foules compacte, il sentait toujours le contact froid d'une lame sur son bras, dans son dos, sur sa joue. Jamais il n'était seul.

Pendant ce temps, Noctealys se répétait les cinq mêmes mots sans arrêt. «Ne pas tuer. Faire peur. Ne pas tuer. Faire peur. Ne pas tuer...» Régulièrement, il devait racheter des couteaux à son fournisseur. Il sentait très bien que la vie de son employeur devenait un enfer, il s'en réjouissait. L'humain ne vivait plus que dans la terreur. Ses yeux étaient fous d'horreur et cernés. Il tremblait constamment. Noctealys n'avait pas prévu une date pour mettre fin à son manège. L'humain avait eu une rose, il devrait mourir. Nocta' le tuerait, que ce soit le jour où il n'aurait plus de couteaux à lancer, où celui où l'employeur finirait par mettre lui-même fin à ses jours. À moins que ce fameux duc Kalahorn ne décide de réviser sa demande.

- Laisse moi! Par pitié laisse moi! Je n'en peux plus de tout ça.. Je sais que tu es là, tu m'entends!

Fraksov, car c'était son nom, était recroquevillé en position foetale dans un coin de sa chambre. Les rideaux étaient tirés sur la fenêtre et la pièce était plongée dans une semi-obscurité. Le lit était défait, les armoires ouvertes. Des vêtements souillés et emmêlés jonchaient le sol. Et ce n'était que la chambre. La résidence de Fraksov était désormais un grand fouillis de ses possessions, éparpillées. Il ne prenait plus le temps de ranger, de nettoyer. Les cheveux noirs et gras de l'homme étaient collés à sa tête par une sueur constante. Ses yeux étaient exorbités, injectés de sang et sautillaient constamment entre toutes les cachettes possibles pour un assassin. Les vêtements qu'il portait étaient sales, souillés, comme tous les autres. Lui même ne s'était plus lavé depuis un moment. Sa maigreur cadavérique témoignait de son stress permanent. Il ne sortait plus de sa chambre depuis plusieurs heures. Il commençait à avoir soif, à avoir faim, mais il ne pouvait plus sortir. Dehors était le tueur. Depuis un moment, il parlait. Il suppliait. Il en était au stade où il ne pouvait plus en supporter. Alors qu'au début, la démence avait pris le dessus sur la peur, la terreur et l'épuisement mental faisaient à nouveau leur effet. Fraksov voulait que tout arrête, il ne se sentait pas la force de vivre encore dans cette situation. Chaque fois que le plancher craquait, son coeur défaillait un instant. Chaque fois qu'un objet bougeait, il hurlait.

Et le tueur était bel et bien là. Presque constamment, du moins c'était l'impression qu'il donnait. Noctealys passait en fait la moitié de son temps en compagnie de Fraksov, mais il exécutait assez bien son art pour faire croire à son ancien employeur qu'il était toujours avec lui. L'emprisonnement de l'homme dans sa propre chambre ne l'aidait pas réellement. Noctealys s'amusait à lancer quelques couteaux dans la porte de temps en temps. L'homme hurlait presque à chaque coup, et c'était encore pire lorsque l'elfe ramassait ses armes, lorsque l'on pouvait sentir sa présence juste derrière la porte. Fraksov était couvert de cicatrices dont Noctealys agrandissait le nombre régulièrement, amusé. Les douleurs physiques qu'il lui infligeait étaient toujours minimes. À peine nécéssaires. La torture mentale était bien plus efficace. Malgré tout, les brulures et coupures étaient utiles, renforçaient le sentiment de vulnérabilité, d'insécurité. Le reste du temps, l'elfe subvenait à ses propres besoins.

Une fois aux trois jours, il devait se réapprovisionner en couteaux. La bourse de Kalahorn et celle de Fraksov s'épuisaient progressivement, mais il pourrait encore tenir. À ses dépenses s'ajoutaient biensur la nourriture dont il avait besoin ou une chambre d'auberge de temps en temps. De ses temps libres, Noctealys grimpait sur les toits et regardait la ville, Arkera, dans toute sa splendeur. Plutôt que d'admirer le paysage, il scrutait les visages. L'assassin recherchait la peur. La nouvelle de la folie de Fraksov s'était rapidement répandue. Les mieux informés savaient qu'il était question de vengeance, et les mieux informés savaient aussi de quoi Fraksov était coupable. Tous n'avaient qu'un nom: Kalahorn. On parlait du duc dans les casernes et dans les tavernes. Bien souvent, les gens disaient des choses totalement fictives et inventées, mais le tueur repérait parfois des conversations plus sages. Il tentait de repérer l'inquiétude. Celle qui se lit sur le visage des coupables. Toutefois, pour le moment, il ne trouvait rien. Pas de traces des complices de Fraksov. Quoiqu'il en soit, ce fut par l'un de ses moments de détente que l'elfe aperçut un homme dans la foule. Il le reconnut pour s'être déjà bagarré avec.

L'homme du désert attirait les regards. Son voile, ses paumes déformées, son accoutrement bizarre, son style déroutant. Tout cela impressionnait les bourgeois. Noctealys, à son attitude, sut que l'homme le cherchait. Gracieusement, il descendit d'un bâtiment et se dissimula dans une ruelle. Lorsque le garde fut assez proche, il l'intercepta. Un regard du férocité passa pendant un millième de seconde. Ils avaient déjà attenté à la vie l'un de l'autre. Mais les histoires actuelles étaient plus importantes que cela. L'homme au visage brulé tendit un bourse à Noctealys et l'envoya à sa ceinture avec dextérité, sans un mot, bien entendu. Après cela, l'humain fit signe à l'elfe de le suivre, ce qu'il fit. Il était prêt à recevoir de nouvelles instructions de Kalahorn.

Fraksov, toujours seul dans sa chambre, sursauta au bruit d'un livre poussiéreux qui tomba de l'étagère dans la pièce voisine. Il se mit à s'époumoner. Seul dans sa maison, il criait.

-Laisse moi! Va-t-en! Je te paierai, je te donnerai tout ce que tu veux, mais laisse moi!

La chape nocturne tomba sur le monde connu. Tous les hommes en ressentaient l’appel. Gnomes, nains, elfes etc. Rien ni personne n’y échappait. Pas même les plus endurcis de tous les êtres vivants y succombaient un jour. Kalahorn redoutait ce moment chaque fois qu’il se présentait. Deux trois jours terrestres pouvaient passer sans qu’il n’en ressente le besoin. Mais son corps, malgré toute sa hargne, sa colère et son contrôle parfait de lui-même ne pouvait échapper. Il était fait de chair après tout. Malgré sa force, il devait s’y laisser aller. Ce redouté sentiment d’abandon qu’il subissait toutes les nuits qu’il ne pouvait endurer debout. Préférant la froide solitude de la nuit et le contact de la pierre sur son corps que le doux sommeil léger qui était le quotidien des autres personnes normales. S’arrachant au contact solitaire de la lune, il quitta son lieu à lui, en bordure des rideaux qui accompagnaient la seule fenêtre de sa chambre. Il était impossible d’y passer ; la peur d’un assassinat était trop grande pour laisser la possibilité à l’homme d’avoir quelque contact avec l’extérieur. Son destin n’était autre que le devoir qu’il fournissait à ses hommes sans espoir. Leurs sentiments étaient canalisés dans cette rage de vengeance qui coulait dans le sang de l’héritier Kalahorn.

Il s’arracha donc au stress que lui procurait l’appréhension du sommeil pour s’y laisser aller. Ce sentiment ou la vigilance éternelle de l’homme se mettait au repos. Les seuls moments ou cet homme si fort de caractère était à la merci du premier venu. Une chape de plomb s’abattait toujours au moment exact ou il s’endormait. C’est avec misère en injuriant ce si faible sentiment qui s’éprenait de lui, encore une fois. Cette fois, le moment si haï s’étira réveillant en Mark un moment d’inquiétude qui augmentait de seconde en seconde. Pourquoi ne s’endormait-il pas? Pourquoi ne prenait-il pas simplement le sommeil dont il avait tant besoin pour qu’il n’ait plus à penser par la suite. Il y avait dans la brume qui précédait le drap noir épais du repos quelque chose d’anormal cette nuit. Un danger? Un attentat? Un assassinat? Non… Il y avait de la magie dans l’air. De la puissance brute s’infiltrait dans son esprit. Et cela s’en prenait à ses rêves. Il n’en faisait jamais habituellement, ou du moins ne se rappelait jamais de rien. Quand ils arrivaient, les peu qui réussissaient à s’en prendre à son esprit avaient tôt fait d’être contrôlés puis renvoyés. Cette fois-ci par contre…

Quelqu’un s’infiltrait dans les méandres de son esprit, profitant des brumes haïes entourant le sommeil. Kalahorn, rompu à plusieurs jours de non-sommeil ne trouvait plus la force de lutter, il s’y abandonna, prêt à en découdre. Lorsqu’il l’aperçut, ses sens s’éveillèrent. Sa force lui revenait, l’ennemi avait été assez fou pour ne pas s’en prendre à lui pendant ce petit moment de faiblesse, cette fois, il en était sûr. Sa tête était tout de même sa propriété, il lutterait avec toute sa puissance et sa détermination. Une sorte de tunnel l'entoura. Il n'y avait pas de parois en tant que tel, c'était plus une sensation. Au loin, il y avait une lumière blanche qui l'attirait inexorablement. Une forte présence féminine se faisait sentir, de même que sa puissance. Il y eu un flash aveuglant puis il se retrouva face à une pile de livres au milieu d'un désert blanc. Une brume effleurait le sol. Un rire fragile résonna soudainement, aussi terrible que cristallin. Une petite fille était assise en haut de la pile, le surplombant d'une tête. Ses longs cheveux bouclés couleur des flammes illuminaient ses yeux bleu-gris narquois. Elle avait un petit sourire effronté, mais adorable. Il émanait d'elle une force effarante.

- Vous pensez encore être dans votre esprit, très cher? demanda-t-elle d'une voix enfantine, mais remplie de maturité.

Cette dernière remarque insinua un doute dans l’esprit de Kalahorn. Plissant les yeux, il se concentra sur la nouvelle venue. Sans en oublier les détails du décor, cette petite fille n’était peut-être en fait qu’une simple attraction visuelle pour cacher ce qui se passait en réalité. Il essaya de décortiquer tout ce qui était autour de lui, analysant les subtilités du rêve éveillé, et aussi de cette mystérieuse fille. Mais cette aura de puissance! Il n’en avait jamais rencontré d’aussi forte. Ses tatouages rivalisaient à peine avec l’auréole de pouvoir qui se concentrait devant lui dans cette frêle chose… Une femme qui plus est! Même un maître sorcier pouvait difficilement faire apparaître une si forte impression de puissance. Quelque chose que Kalahorn n’aimait pas se passa ; il ne pouvait pas influencer son environnement immédiat. Malgré ses longs et pénibles entraînements oniriques, rien ne changeait. Il n’était vraiment pas dans sa propre tête en ce moment… Cela signifiait-il que cette fille soit vraisemblablement aussi majestueuse qu’elle ne le paraissait? Et … une femme????

- Je ne pensais pas que votre égocentrisme était à ce point prononcé. Vous possédez une si piètre estime des autres. C’est désolant. Mais vous êtes pardonné, car vous n’êtes qu’un mortel après tout.

La petite fille se laissa glisser au bas de la pile de livres, mais se mit à léviter à quelques centimètres du sol avant de remonter à la hauteur de son visage. Son regard se planta dans le sien. La rage faisait chauffer l’air autour du duc et elle semblait s’en délecter. Elle redescendit un peu et, en une fraction de seconde, elle reprit sa véritable forme ; celle d’une jeune fille aux longs cheveux de feu et aux yeux d’azur infini. Sa main effleura sa joue et il s’avança vers elle, obligé par une force inconnue. Le corps frêle de l’Oracle se fondait au sien. Elle pencha la tête appuyant sa tempe sur son épaule pour murmurer dans son cou :

- Ne soyez pas si farouche. Je ne vous veux aucun mal. Si ce serait le cas, je vous aurais anéantie il y a fort longtemps, car je vous connais. Je vous connais mieux que quiconque. Plus que vous-même aussi.

Son index droit traçait les arabesques de ses tatouages au travers de ses vêtements. Elle eût un rire bref, mais amusé.

- Je connais leurs origines. Je sais tout… Absolument tout.

*Que… Quoi? Qu..Qui est cette garce? Qui est-elle pour savoir? Et puis cette façon d’agir est on ne peut plus féminine! QUI EST DONC CETTE FEMME?*

Kalahorn retînt son souffle, essayant de concentrer un maximum de pensées à son cerveau. Il était maintenant sûr que rien de toute cela ne se passait réellement dans son esprit. Il était au piège dans la tête d’une femme. Ses idées défilaient à toute vitesse, essayant de trouver une faille dans la volonté exercée de son « hôtesse ». Il décortiqua l’une après l’autre les éléments de l’endroit. Du blanc infini comme « mur » ce qui veut dire lumière, la connaissance … Le futur. Ensuite, le brouillard qui signifie le mystère… Il y a quelque chose à découvrir dans tout cela. Les livres… la connaissance? Non pas avec les autres éléments! C’est trop facile, et puis ce sont les seuls réels objets ici. Un endroit! Le lien avec la réalité lui apparaissait clairement maintenant. Il lui faut découvrir l’endroit ou elle veut en venir. Si Mark, peu mettre la main sur le nom de cette place, il aurait dorénavant un avantage sur cette sale fillette qui ose venir le déranger lui.

L’Oracle eût un petit sourire amusé, question de l’agacer davantage, car, à vrai dire, elle ne semblait pas ressentir grand-chose. La jeune femme recula d’un pas et le regarda pendant quelques secondes en silence.

- J’apprécie votre vivacité d’esprit, mais votre tendance à vous considérer au-dessus de tout et de tout le monde commence sérieusement à m’agacer. Je ne suis pas une… comment déjà?

Elle prit un air de quelqu’un qui réfléchit profondément et haussa les sourcils avec ses lèvres formant un « ha! » silencieux.

- C’est ça… Une garce! Je vous conseille fortement d’arrêter vos enfantillages. Je n’ai pas de temps à perdre avec vos petites prétentions.

Fleur-de-Neige soupira et posa son index et son pouce de part et d’autre au sommet de son nez. Ses paupières se fermèrent un moment et il y eût une sorte de vague dans son image, comme si elle allait s’effacer d’un instant à l’autre. Elle rouvrit subitement les yeux et saisit le duc par les épaules, plantant son regard impitoyable dans le sien. Cela aurait pu donner lieu à une confrontation sans précédent, mais l’Oracle avait déjà trop perdu de temps. Alderick s’était aperçu de son mouvement magique.

- Vous êtes sur la bonne voie, sachez-le.

Le Duc comme toujours impassible eût un sourire mental.* Même puissante et capable de lire ses pensées, cette petite gamine n’étaient pas capable de contrôler ses propres émotions. Pfff une amatrice aux grands pouvoirs sans aucun « self-control ».*
Il était visible que Mark attisait ce qu’il pensait être la faille de son agresseur. Néanmoins, ceci n’était qu’un rêve, et la concentration de son hôtesse avait ses lacunes. Le Duc en profitait pour détourner l’attention de la jeune fille par des pensées qui n’avaient aucun autre objectif que de la détourner des siens. Il devait se rapprocher des livres, le seul lien entre cette illusion onirique et la réalité. Sans qu’elle ne le veuille, il parviendrait peut-être à y voir des indices quant à leur provenance, car oui, elle venait bien de confirmer qu’il lui fallait bien découvrir un lieu réel contenant des bouquins. Il fît donc le tour d’elle, en ne pensant qu’à l’insulter de manière douce, pour ne pas lui faire tout briser d’un coup, mais bien de déjouer sa concentration. Un demi-tour d’elle plus loin, Kalahorn en était à la pile de livres, qui le dépassait d’un pied facilement. Il frappa. Il fît dévaler la colonne des multiples ouvrages anciens. Espérant découvrir, pendant la seconde de surprise qu’il créerait chez l’échevelée, un indice qu’elle n’aurait voulu concéder en possédant toute sa concentration. Décidément, le Duc du Soval était malin…
L’Oracle se retourna, un sourcil relevé. Elle croisa les bras, observant son petit manège avec intérêt. Vraiment, il n’avait pas tout saisi. Soupirant pour la deuxième fois, elle présenta une mine impatiente.

- Si vous vouliez des indices, vous n’aviez qu’à en demander. Il ne sert à rien d’être aussi rustre! Mais quelle manière pour un homme de la haute!

La jeune femme savait pertinemment que cette réplique ferait mouche directement dans l’orgueil du Duc qu’elle meurtrissait à cœur joie depuis le début. Il fallait bien que quelqu’un remette ce petit prétentieux à sa place après tout! L’Oracle fit disparaître les livres et décroisa les bras. Ses yeux se logèrent dans les siens.

- Sachez seulement que sans la clé, vous ne trouverez rien d’intéressant.

La jeune femme se retourna et commença à s’éloigner lentement dans le brouillard. Étrangement, elle ne donnait pas l’impression de marcher, mais plutôt de flotter légèrement au-dessus du sol brumeux. Cette fois-ci, se sachant dans un monde totalement imaginaire et sans réel impact dans sa vie terrestre, la folie contenue dans le tatouage qui symbolisait son esclavage à cette tâche ingrate s’embrasa. L’habituelle figure impassible se mua en un rictus malin. La torture mentale que lui infligeait sa malédiction changea complètement l’allure confiante qu’il se donnait pour exprimer sa haine avec horreur. Les mains en serres, les dents serrées, les yeux rivés sur sa proie, Kalahorn chargea d’un pas rapide la jeune dame. Il susurra silencieusement sa menace :

-Ainsi tu veux jouer catin. Alors jouons! Tu veux que je trouve la clé? Alors montre-moi à quoi elle ressemble. Car c’est bien d’une vraie clé dont on parle non? Ce n’étais même pas caché alors que tout en en énigme ici. Alors montre-moi garce, à quoi ressemble-t-elle? Ou est-elle que je puisse venir à toi, te voir trépasser sans que je n’élève le petit doigt?

À ces mots, le Duc ramena ses gants vers l’avant dans l’espoir mauvais de broyer les épaules de la sotte qui s’en prenait à lui. L’Oracle se retourna rapidement juste au moment où il resserrait les mains autour de ses délicates épaules. Étrangement, sa poigne ne fut pas aussi forte qu’il l’aurait voulu.

- Vous croyez vraiment que je vais vous le dire après cela? Vous allez devoir apprendre que vous n’êtes pas le nombril du monde.

Elle le repoussa sèchement et sans le moindre geste. Il s’écroula trois mètres plus loin. L’Oracle eût un sourire satisfait avant de s’effacer lentement dans un brouillard qui s’épaissit jusqu’à en devenir étouffant. Puis, le Duc fut projeté sans douceur dans son corps, malmené par le dur retour à la réalité. Les yeux de l’homme s’ouvrirent en grand, le temps d’une soudaine et profonde inspiration. Le cœur battant la chamade, les nerfs vrillant son système nerveux, ses marques maudites qui parcourait son corps torturé lancèrent des éclairs mentaux de douleurs a Mark qui ne s’en pouvait plus. Ressentant la haine reprendre le pas sur sa soudaine peur de la mort, Kalahorn susurra à l’attention d’un possible espion :

- Appelez-moi Manuki

Le garde laissa Noctealys à l'entrée du manoir du duc, lui indiquant simplement d'attendre Kalahorn. La nuit était tombée dehors, et l'air était froid, étrangement. Normalement, il faisait toujours une chaleur étouffante à Arkera, la ville sentait constamment la sueur et la pourriture, rendant l'air peu avenant à respirer. La fraicheur du bâtiment était confortable. L'elfe ne bougea pas, inspectant les lieux, la pièce dans laquelle il était. Quelques domestiques s'affairaient, mais l'endroit était relativement calme. Les serviteurs lui jetaient de discrets regards en coin, sans s'attarder. Il resta planté ainsi un bon moment avait que n'apparaisse le duc tout en haut d'une volée de marches devant lui. L'homme venait visiblement d'être tiré de son sommeil, il paraissait de plus assez troublé mais le dissimulait bien. L'elfe le suivit des yeux tout au long de sa descente. Arrivé devant lui, Mark lui demanda de le suivre dans son bureau, qui se trouvait à leur droite. Noctealys tourna la tête dans la dite direction et laissa Kalahorn passer en premier avant de le suivre. Il se demanda avec espoir s'il pourrait finalement tuer Fraksov.. Ou du moins tuer quiconque avant que ses roses ne fanent.



Manuki feuilletait rapidement un vieux livre aux pages jaunies. Il était dans une grotte spacieuse au nord des territoires des gnomes. L'entrée de son campement était bouchée par un champs magique, une surface lisse et translucide aux reflets verts. Devant l'entrée reposait le cadavre d'un ours qui n'avait pas voulu céder sa demeure. Le livre était un gros document sur la nécromancie et les différents sacrifices. Manuki n'avait pas l'habitude d'égorger des poulets avant de lancer ses sorts, mais il semblait que le fait de répandre un peu de sang permettait souvent une plus grande maitrise lors d'invocations compliquées, par exemple. Il fut distrait de sa lecture par quelque chose que s'apparenta à une vague. Une onde psychique le frappa. Quelque chose se passait quelque part. Manuki sonda rapidement le continent à la recherche de la perturbation mais ne trouva rien, ce n'était donc pas sur le monde physique. Il lui fallut quelques instants pour repérer à quelle dimension se produisait le phénomène et le gnome repéra finalement l'activité dans les rêves d'un homme. Après concentration, il se téléporta dans le rêve en question. Il n'était pas réellement là, du fait que sa présence n'était pas facilement devinable. Il n'était pas physiquement dans le décor, il voyait seulement à travers les yeux de Kalahorn. Il suivit la scène avec perplexité.

Au bout d'un moment, il identifia les participants du rêve. Un duc quelconque humain, et la fille, hautement magique, qui produisait de fortes perturbations magiques autour d'elle. Il fallut plus de temps à Manuki pour l'identifier, mais il comprit finalement qu'il s'agissait de l'oracle. Fait impressionnait, car on entendait rarement parler de ses entités. À un moment, Kalahorn fut projeté en arrière et Manuki fut expulsé violemment du rêve. Le duc s'était réveillé. Le gnome pris quelques secondes pour récupérer du choc puis se transporta à nouveau mentalement auprès de l'homme dont il repérait la signature mentale après s'être infiltré en lui dans son rêve. Il entendit distinctement les paroles.

«-Appelez-moi Manuki»

Et bien, il en avait de la chance lui. Manuki hésita un instant, mais la situation sortait tellement de l'ordinaire qu'il ne pouvait pas rater l'occasion. Il se téléporta dans le manoir de Kalahorn. Le petit bureau fut éclairé un instant d'une puissant lumière bleue et le gnome y apparut. Il remarqua un instant l'elfe, pas très loin de lui mais ne s'y attarda pas. Probablement un serviteur. Il s'adressa tout de suite à Kalahorn.

«-Je suis Manuki. Que veux-tu, humain?»